Histoire
C’est une histoire qui commence comme beaucoup d’autres, à l’hôpital. La particularité, qui n’est plus rare de nos jours, c’est que la future mère était seule.
Comme d’autres femmes, elle a été abandonnée au début de sa grossesse. Le père de l’enfant s’appelait Michael. Il était le descendant d’une ancienne famille princière autrichienne dont la famille avait beaucoup bougée et s’était dispersée dans le monde. Lui s’était retrouvé au Japon au n’avait pas hésité à mettre enceinte une jeune femme de bonne famille.
L’aimait-il vraiment ou s’est-il seulement amusé ? La question se pose mais la réponse reste inconnue. Cependant, notre histoire ne tourne pas autour de Michael, mais de son fils. Oui, son fils, car la femme accoucha d’un garçon.
Dès sa naissance, on pouvait se rendre compte que ses origines n’étaient pas exclusivement japonaises. Même, si on n’avait pas vu sa mère, on ne serait jamais doutés que cet enfant avait des origines japonaises. La peau du garçon était très blanche, ses yeux marrons clairs n’avait pas la forme de ceux de sa mère et ses cheveux étaient encore plus blonds que les blés.
Mais rapidement, quelque chose clocha. La peau du nourrisson semblait ne cesser d’accumuler des brûlures sans raison particulière. Il n’avait même pas une semaine quand les médecins l’examinèrent, sous l’inquiétude conjuguée de la mère et des sages-femmes. Le diagnostic ne se fit pas trop attendre et fut catégorique. L’enfant était atteint de Xeroderma Pigmentosum.
Le Xeroderma Pigmentosum se caractérise par une sensibilité excessive de la peau au soleil, des troubles oculaires et un risque très fortement multiplié de développer un cancer de la peau ou des yeux. Il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement, on ne peut que limiter les symptômes en appliquant des mesures préventives drastiques et très onéreuses.
Les médecins expliquèrent à la mère que sans des mesures adaptées, son fils pourrait s’estimer chanceux s’il atteignait les 20 ans. Celle-ci fut anéantie par la nouvelle. Même si son fils était un souvenir douloureux d’une rupture, elle l’aimait quand même et voulait qu’il puisse vivre.
Alors elle fit quelque chose qui coûta à sa fierté. Sachant où elle pouvait trouver le père de son enfant, elle laissa une journée son fils aux soins de l’hôpital et s’y rendit. Introduite dans une luxueuse demeure, elle expliqua la situation du nouveau-né, mais Michael n’en avait que faire. À ses yeux, même si l’enfant avait son sang, il n’était pas son fils.
Mais elle le supplia, elle voulait que l’enfant vive, qu’il puisse vivre correctement. D’abord verbales, les supplications finirent même à genoux. Finalement, Michael céda et accepta de prendre le garçon sous son aile, de le reconnaître légalement et officiellement comme son fils.
Cependant il émit quelques conditions : peu importe le nom qu’elle avait choisi pour l’enfant, il serait renommé selon l’envie de Michael. De plus, elle devait accepter de ne plus jamais le revoir, ni de chercher à le revoir. C’était beaucoup, mais elle accepta. La santé, la vie de son fils passait en priorité.
Ainsi, le garçon fut nommé Reinhart. Reinhart Karl Felix Michael et devint officiellement un Fürst von Lichnowsky-Werdenberg. N’ayant ni le temps ni l’envie de s’occuper d’un enfant avec une telle maladie, son père acheta une maison où il serait coupé du monde et de la lumière du jour et embaucha des gens dont la vie serait à présent réduite à s’occuper de lui.
Jamais il ne revit ni sa mère, ni même son père qui devait pourtant s’occuper de lui.
Dans cette grande maison au Japon, Reinhart a grandi sans jamais voir la lumière du jour. Les volets des fenêtres étaient toujours fermées, sur les vitres avaient été collés plusieurs couches de filtres occultant sombres, et de lourds rideaux noirs et opaques avaient été placés devant les fenêtres. Avec de telles protections pare-soleil, l’enfant n’eut jamais à souffrir des brûlures de l’astre.
Cloîtré dans le noir, à peine éclairé par de faibles lampes ou des lampes maintes fois tamisées par du tissu, il développa une photophobie grandissante et apprit à voir et à lire dans des conditions dans lesquelles des humains normaux sauraient à peine distinguer quelques formes. Tel un chat, il pouvait vivre dans le noir quasi-complet, captant le peu de lumière ambiante pour voir ce qu’il y avait à voir.
Cependant, alors que les chats ont tendances à être actifs la nuit, Reinhart, lui, était obligé de vivre de jour, même s’il ignorait tout de la notion de jour. Pour lui, une journée commençait lorsqu’on allumait la lumière et se terminait lorsqu’on l’éteignait et pouvait donc être variée à volonté.
Pendant ses journées, il fut éduqué par des professeurs particuliers. Ceux-ci ont été obligés de s’adapter à sa photophobie et donc devaient lui faire cours dans une faible lumière, ce qui pouvait se révéler difficile et éprouvant.
Jamais n’avait-il le droit de sortir, même pas la nuit. Il aurait au moins voulu pouvoir sortir la nuit, histoire de découvrir un peu le monde, et de rencontrer des personnes de son âge. Car en effet, jamais n’a-t-il eu l’occasion de rencontrer des enfants. Les seules personnes avec qui il pouvait discuter étaient des adultes.
Peut-être ne fut-ce pas étonnant qu’alors très vite, très tôt, il devienne mature, ignorant ce que les enfants savaient et que les adultes avaient oublié.
À sa disposition, on lui laissait une importante bibliothèque qu’il n’hésitait pas à parcourir, son seul moyen de s’évader de sa noire prison, de découvrir un peu le monde. Bien sûr, la maison était dotée d’une télévision, mais ses gardiens ne voulaient pas le laisser la regarder, prétextant qu’un enfant comme lui n’avait pas à regarder les cochonneries diffusées sur les ondes et qui rendaient bêtes. De plus, sa photophobie ne lui permettait pas de supporter la luminosité de l’écran.
De plus, on voulait préserver ses yeux de tout engin technologique qui émet sa propre lumière, trop souvent trop lumineuse pour convenir à des personnes photophobes. Ce qui fait que jamais n’a-t-il connu les téléphones portables, les ordinateurs, les consoles de jeu…
Cependant, cela ne lui a pas empêché d’avoir des problèmes de vues, conséquence malheureuse de son Xeroderma Pigmentosum couplé à sa photophobie. Plus tard que d’autres enfants de la Lune mais malheureusement toujours trop tôt selon ses gardiens, il fut obligé de porter des lunettes au quotidien.
Reinhart était un enfant obéissant, faisant toujours ce qu’on lui disait de faire. Il croyait volontiers ses gardiens lorsqu’ils lui disaient que s’il sortait, il mourrait. Cependant, ayant grandi et en ayant appris plus sur sa condition, il s’autorisa, un soir, à quitter la maison dans laquelle il vivait. L’horaire fut bien choisi, en plein milieu de la nuit, pendant que ses geôliers dormaient et que le soleil éclairait l’autre côté de la Terre.
C’était une nuit de pleine Lune. Peut-être même de super Lune. L’éclat froid de l’astre nocturne donnait au monde un air fantastique. Était-ce toujours ainsi, se demanda l’enfant. Il n’avait aucun moyen de le savoir car jamais il ne pourrait voir le monde baigné par le soleil sans en subir de lourdes conséquences.
C’était une de ces nuits pendant lesquelles l’imagination débordante des enfants est capable de fabriquer bien des choses dans l’ambiance appropriée. Et cela ne manqua pas. Mais cela aurait tout aussi bien pu être la réalité, une réalité telle que tous les enfants la croit.
Cette nuit-là, sa première fois en dehors de chez lui, il rencontra un enfant, ce qui était sa première fois également. Que se dirent-ils ? Pas grand-chose. Du moins, Reinhart n’eut pas l’occasion de dire grand-chose. L’autre enfant s’exclama de la pâleur du garçon et alla jusqu’à lui demander s’il n’était pas un vampire, avec ses cheveux blancs et ses yeux jaunes. Si ses cheveux et ses yeux n’étaient pas ainsi à sa naissance, ils s’était depuis éclaircis par le manque de lumière du soleil. Ne le laissant pas parler, l’inconnu continua en disant que des êtres comme lui ne devraient pas exister et devraient être tués. A peine eut-il dit ça qu’il disparut comme par magie.
Y réfléchissant une fois rentré, le garçon vint à la conclusion qu’il devait être un fantôme. Dans les livres qu’il avait lu, il avait déjà été question de fantôme, et même s’il ne correspondait pas tout à faire à la description, il était persuadé, en son for intérieur, que cet enfant ne pouvait pas être un humain.
Il commença à faire des recherches, mais ne trouva pas satisfaction dans les livres. Ayant entendu parler d’un moyen permettant de faire des recherches plus larges et plus poussées sur n’importe quel sujet, il en demanda à ses gardiens. Ceux-ci n’étaient pas convaincus qu’il soit bon pour leur protégé, mais après des mois de discussions et d’insistance, ils finirent par lui offrir son premier ordinateur portable, relié à Internet. Pour contrer sa photophobie qui ne supportait pas la luminosité, même minimale, de l’écran, ils installèrent un filtre sur l’écran.
C’est ainsi que le jeune garçon fit ses premiers pas dans le monde de la technologie. Les débuts furent difficiles, mais on lui apprit à se servir d’un ordinateur et d’Internet. Et il commença à faire des recherches sur les fantômes puis plus largement sur les êtres et phénomènes surnaturels, n’hésitant pas à croire en leur existence.
Bientôt arriva sa crise d’adolescence. Il était manifestement trop versé dans le surnaturel et l’improbable, et couplé avec sa maladie qui l’empêche de sortir de jour, il ne fallut pas longtemps pour qu’il commence à inverser son cycle de vie, dormant le jour et vivant la nuit. Bien entendu, le personnel qui devait s’occuper de lui avaient adapté leur rythme de vie en conséquence, sans dire un mot. Le seul but était que Reinhart puisse vivre normalement.
Il avait aussi changé sa façon de se présenter. Ses cheveux, qu’il portait d’habitude courts, commençaient à pousser, fuyant les ciseaux. Au niveau vestimentaire, il avait cherché à se vêtir sur Internet, trouvant des vêtements de style gothique, préférant les couleurs blanches, noires et rouges. Aussi abandonna-t-il les lunettes pour des lentilles, plus discret.
Ces faits étaient assurément motivés par la croyance qu’il avait d’être un vampire. Son esprit ne parvenait pas à y croire totalement mais il n’attendait qu’une chose pour y croire vraiment, que sa soif de sang se déclenche. Après tout, pourquoi pas ? Il le savait, pour avoir fait des recherches, que les vampires ne supportaient pas la lumière du soleil, tout comme lui. Ils brûlaient et mouraient au contact du soleil, ce qui était censé lui arriver s’il s’exposait. Aussi, ils sont pâles, et certains ont même les cheveux blancs et les yeux dorés, comme lui. Et puis, la majorité des vampires étaient riches, comme sa famille. Dracula n’était-il pas un comte ? Lui-même avait hérité du titre de Fürst, de son père. Une sorte de prince, en somme. Il n’était pas possible qu’il puisse être autre chose qu’un vampire.
Pendant l’adolescence, sa désobéissance fut croissante. Il sortit souvent le soir, mais n’alla jamais jusqu’à côtoyer vraiment les autres personnes. Il ne savait pas comment faire, et ne voulait pas vraiment apprendre, car ce n’était pas les humains qui l’intéressaient. Mais des preuves d’existence d’êtres autres qu’humains ou animaux, il n’eut pas la capacité d’en trouver.
Encore grandit-il et entra dans la vie « adulte ». Il reprit un cycle de vie normal, dormant à nouveau la nuit et restant éveillé le jour. Après tout, il était devenu évident qu’il n’était pas un vampire, mais si on venait à le lui demander, il ne le démentirait pas. Il n’acquiescerait pas non plus.
Cependant, il garda le style vestimentaire qu’il était venu à apprécier depuis son adolescence, et continua à se laisser pousser les cheveux, qui devenaient vraiment longs.
Puisqu’il fallait, après le cursus scolaire basique, choisir dans quelle branche faire ses études, il fut fortement poussé à faire des études dans la voie des lettres. Ça ne le passionnait pas, mais dans son chez lui où on lui offrait toujours des professeurs particuliers, il excellait.
Cependant, il menait des études en parallèle, sur le peu de temps libre qu’on lui laissait. Passionné par le paranormal, il étudiait tout seul, avec son ami Internet et des relations rencontrées par ce biais, la cryptozoologie, les fantômes, la métapsychique, la parapsychologie ainsi que d’autres pseudosciences ayant un rapport plus ou moins éloigné avec les créatures et animaux légendaires et considérées comme non existantes par la majorité des humains.
Lorsqu’il fut enfin libre de ses actions, de ses mouvements, il commença à explorer le monde. De plein jour, ce fut difficile. Entre les brûlures, les mélanomes qu’il fallait soigner et faire opérer, et les autres personnes qui se méfiaient d’une personne aux vêtements étranges ayant une propension à cacher son visage, la vie fut difficile pour Reinhart. Pour se prémunir du soleil, il était obligé de se balader le visage couvert. Ce que depuis, il a abandonné au profit de crème solaire et de grandes lunettes de soleil.
Cependant, tout ça, il s’en fichait pas mal. Il avait de l’argent, accès à l’immense fortune de sa famille, et avait appris à s’en servir. Les opérations et les soins étaient devenus une formalité à accomplir. La méfiance des gens pliait contre un nombre nécessaire de billets.
Ses études non-conventionnelles, qu’il exerçait désormais à plein temps, le menèrent aux quatre coins du monde, lui faisait rencontrer de nombreuses personnes, certaines bien intentionnées, toutes disposées à aider un jeune passionné dans sa recherche du graal, d’autres moins bonnes, plutôt enclines à profiter un maximum de la poule aux œufs d’or, agacées par son comportement, n’hésitant pas à abuser de lui, même sexuellement et en plein jour.
Il a publié plusieurs ouvrages sur les sujets de ses recherches, dont certains sont devenus des travaux de référence dans le domaine. Ses pérégrinations lui ont également valu d’apprendre à parler un minimum quelques langues, l’anglais principalement, quelques mots d’autrichien, d’espagnol, de français, d’allemand et j’en passe. Aussi, il a adopté un chat noir, errant, pendant des recherches en Allemagne, qu’il a nommé Tôgo.
Mais s’il y a une chose, légendaire, qu’il cherche à trouver, c’est la fontaine de jouvence. Une fontaine dont l’eau est censé donné vie et jeunesse éternelle a qui en boit. Cependant, il se contenterait d’un équivalent, que ce soit élixir de longue vie ou autre. Pour ce fait, il n’hésite pas à jouer les alchimistes amateurs.
Peut-être que la vie éternelle lui permettrait d’apprendre à utiliser la technologie. S’il sait se servir d’Internet, ce soit être à peu près tout. Il possède un smartphone mais sait à peine s’en servir pour passer un appel. Par contre, les SMS, la boîte vocale, ces choses simples, oubliez. Pour ce qui est de l’ordinateur, il a pris un MacBook, et ne sait pas beaucoup plus s’en servir. Internet, et c’est tout. Pour les mails, il galère toujours un peu à y accéder. Au moindre problème sur ses engins et il est perdu. Il passe peu de temps devant ses écrans, téléphone et ordinateur, à cause de la luminosité que lui donne mal à la tête.
Pendant ses recherches, il a entendu parler du manoir d’Eichmmann, devenue Saotome Gakuen, et des rumeurs sur l’apparition de fantômes dans le manoir. C’était le mystère sur lequel il voulait travailler. Pour pouvoir étudier les apparitions à loisir, il a postulé en tant que professeur, car après tout, ses études de lettres furent couronnées de succès et il fallait bien qu’elles lui servent. Ses références devaient être bonnes, puisqu’il fut pris par le directeur comme étant le nouveau professeur de Littérature et de Philosophie. Et ceci, c’était il y a 4 ans.
Depuis, il est devenu le professeur s’occupant du club de paranormal, utilisant sans vergogne les élèves pour traquer les fantômes, mais n’en ayant pas aperçu un seul lui-même. Pourtant, il a fouillé le manoir de fond en comble. Ou presque. Il y a une porte, dans la cuisine, qui est verrouillée et que le directeur n’a jamais voulu lui ouvrir, à sa plus grande frustration.
Pour ses recherches par rapport aux fantômes de l’école, il s’est renseigné sur la famille Eichmmann et s’est rendu compte qu’il a des liens avec la famille qui a construit la famille. En effet, un des ancêtres de son père, Karel Maximilian Fürst von Lichnovský Z Voštic, longtemps avant que la famille se lie aux Werdenberg, avait épousé une fille Eichmmann dans les années 1660.
À dire vrai, en tant que professeur, il n’est pas dans les meilleurs. Il n’a que peu d’intérêt dans la carrière de ses élèves, ne voulant les voir que réussir dans ses matières, quitte à leur donner une montagne de devoirs, surchargeant leur emploi de temps.
Du plus, il s’absente parfois, n’hésitant pas à quitter le pays en plus de l’école pendant plusieurs jours, prévenant vaguement n’importe qui, dans l’unique but d’aller étudier un phénomène qu’un homme saoul a prétendu avoir vu. Par exemple.
Mais sa vie à Saotome ne s’est pas faite sans découverte. Plus que toutes les choses surnaturelles qu’il a pu découvrir ou non, un fait, une personne l’a beaucoup marqué.
À peine avait-il passé sa première année d’enseignement, qu’un élève arriva. Il portait le même nom de famille que lui. Lichnowsky-Werdenberg. Rui von Lichnowsky-Werdenberg pour être précis. Un petit-frère.
Reinhart ne se serait jamais douté qu’il avait de la famille autre que ses géniteurs. Il en fut chamboullé et tenta de faire ami-ami avec son petit frère. Mais lui, de toute évidence, ne le voulait pas.
Aujourd’hui encore, l’enfant de la Lune qu’est Reinhart cherche à percer le secret des fantômes de Saotome, mais aussi à se faire bien voir de son petit frère, tout ça en compagnie de son chat Tôgo.